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LES ROIS EN EXIL

porté par un nuage qui l’enveloppe jusqu’aux yeux, le pousse, le soutient, l’amène insensiblement hors de l’avenue… Et c’est là seulement qu’il reprend terre, se reconnaît… La voiture de la reine est loin. Nul moyen de la rejoindre. Il leur faut revenir à pied vers la rue Herbillon, suivre dans le jour tombant de larges allées, des rues bordées de cabarets pleins de passants en goguette. C’est une véritable escapade, mais aucun d’eux ne songe bien à l’étrangeté du retour. Le petit Zara parle, parle, comme tous les enfants après une fête, pressés de traduire par une petite bouche tout ce qu’ils ont amassé d’images, d’idées, d’événements, par les yeux. Élisée et la reine silencieux. Lui, tout frémissant encore, cherche à se rappeler tour à tour et à fuir la minute délicieuse et pénétrante qui lui a révélé le secret, le triste secret de sa vie. Frédérique songe à tout ce qu’elle vient de voir d’inconnu, de nouveau. Pour la première fois elle a senti battre le cœur du peuple ; elle a mis sa tête sur l’épaule du lion. Il lui en est resté une impression puissante et douce, comme une étreinte de tendresse et de protection.