Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/226

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus bruyant ; et des balançoires, des escarpolettes, tombent aussi des cris aigus, tandis que, de dix minutes en dix minutes, les trains de ceinture, passant à niveau du champ de foire, coupent et dominent de leurs sifflements ce vacarme enragé.

Tout à coup la fatigue, l’odeur étouffante de cette foulée humaine, l’éblouissement d’un soleil de cinq heures, oblique et chaud, où tournent tant de choses vibrantes et brillantes, étourdissent la reine, la font défaillir dans une halte. Elle n’a que le temps de saisir le bras d’Élisée pour ne pas tomber, et pendant qu’elle s’appuie, se cramponne, droite et pâle, de murmurer bien bas : « Rien… ce n’est rien… » Mais sa tête où les nerfs battent douloureusement, tout son corps qui perd le sentiment de l’être, s’abandonnent une minute… Oh ! il ne l’oubliera jamais, cette minute là…

C’est fini. Maintenant Frédérique est forte. Un souffle de fraîcheur sur son front l’a vite ranimée ; pourtant elle ne quitte plus le bras protecteur, et ce pas de reine qui s’accorde au sien, ce gant qui s’appuie en tièdeur, causent à Élisée un trouble inexprimable. Le danger, la foule, Paris, la fête, il ne songe plus à rien. Il est au pays impossible où les rêves se réalisent avec toutes leurs magies et leurs extravagances de rêves. Enfoui dans cette mêlée de peuple, il va sans l’entendre, sans la voir,