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LES ROIS EN EXIL

ballons rouges en grappes ; d’innombrables virements de moulins en papier jaune ressemblant à des soleils d’artifice, et, dominant la foule, des quantités de petites têtes, droites, aux cheveux de fumée blonde, comme ceux de Zara. Les rayons du couchant un peu pâlis trouvent sur les nuages des reflets de plaques brillantes éclairant les objets, les assombrissant tout à tour, et cela mouvemente encore la perspective. Ils frappent ici un Pierrot et une Colombine, deux taches blanches, se trémoussant en face l’un de l’autre, pantomime à la craie sur le fond noir du tréteau ; là-bas un pitre long et courbé, coiffé d’un chapeau pointu de berger grec, faisant le geste d’enfourner, de pousser à l’intérieur de sa baraque la foule en coulée noire sur l’escalier. Il a la bouche grande ouverte, ce pitre, il doit crier, mugir ; mais on ne l’entend pas, pas plus qu’on n’entend cette cloche furieusement secouée au coin d’une estrade ou les coups d’arquebuse dont on voit l’armement et la fumée. C’est que tout se perd dans l’immense clameur de la foire, clameur d’élément faite d’un « tutti » discordant et général, crécelles, mirlitons, gongs, tambours, porte-voix, mugissements de bêtes fauves, orgues de Barbarie, sifflets de machines à vapeur. C’est à qui emploiera, pour attirer la foule, comme on prend les abeilles au bruit, l’instrument le plus infatigable, le