Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/223

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
218
LES ROIS EN EXIL

un bon goût de miel et de fruits cuits à travers la foule lente, étroitement serrée, où la circulation commence à devenir bien difficile.

Impossible à présent de retourner sur ses pas. Il faut suivre ce courant despotique, avancer, reculer, inconsciemment poussé vers cette baraque, vers cette autre, car le flot vivant qui se presse au milieu de la fête cherche à déborder des côtés, sans possibilité d’une issue. Et des rires éclatent, des plaisanteries, dans ce coudoiement continuel et forcé. Jamais la reine n’a vu le peuple d’aussi près. Frôlée presque par son haleine et le rude contact de ses fortes épaules, elle s’étonne de ne ressentir ni dégoût ni terreur, avance avec les autres, de ce pas de foule hésitant qui semble le chuchotement d’une marche et garde quand même, les voitures absentes, une sorte de solennité. La bonne humeur de tous ces gens la rassure, et aussi la gaieté exubérante de son fils, et cette quantité de petites voitures de bébés continuant à circuler au plus épais. « Poussez donc pas… Vous voyez ben qu’y a un enfant ! » Non pas un, mais dix, mais vingt, mais des centaines d’enfants, portés en nourrissons par les mères, sur le dos des pères ; et Frédérique croise un sourire aimable, quand elle voit passer l’âge de son fils sur une de ces petites têtes populacières. Élisée, lui, commence à s’inquiéter. Il sait ce que c’est qu’une foule, si calme qu’elle