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LES ROIS EN EXIL

l’une sur l’autre, lui apparaît penchée à la balustrade. Il ne se serait pas lassé de la regarder, mais l’orchestre lui donne des distractions, un orchestre extraordinaire, composé, non pas de gardes-françaises ni d’hercules en maillot rose, mais de véritables gens du monde, un monsieur à favoris courts, crâne luisant et bottes molles, daignant jouer du cornet à pistons, tandis qu’une dame, mais une vraie dame, ayant un peu de la solennité de madame de Silvis, en mantelet de soie, le chapeau garni de fleurs tremblantes, tapait de la grosse caisse en regardant d’un air détaché à droite et à gauche, avec de brusques tours de bras qui secouaient jusque dans les roses du chapeau les franges chenillées de son mantelet. Qui sait ? Quelque royale famille tombée elle aussi dans le malheur… Mais le champ de foire présentait bien d’autres choses étonnantes.

Dans un panorama infini et perpétuellement varié, dansaient des ours au bout de leurs chaînes, des nègres en pagne de toile, des diables, des diablesses en étroit serre-tête de pourpre ; gesticulaient des lutteurs, tombeurs fameux, un poing sur la hanche, balançant au-dessus de la foule le caleçon destiné à l’amateur, une maîtresse d’escrime au corsage en cuirasse, aux bas rouges à coins d’or, le visage couvert du masque, la main dans le gant