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LES ROIS EN EXIL

de s’arrêter partout et celui d’aller toujours en avant, toujours plus loin, là-bas où le bruit était plus grand, la foule plus compacte.

Ainsi, sans s’en apercevoir, ils s’éloignaient du point de départ avec ce manque de sensation du nageur que l’eau porte à la dérive, et d’autant plus facilement que personne ne les remarquait, que parmi toutes ces toilettes criardes le svelte costume de la reine, de plusieurs tons fauves, robe, manteau, coiffure assortis, passait inaperçu comme l’élégance discrète de Zara, dont le grand col empesé, les mollets nus, la courte jaquette, faisaient seulement dire à quelques bonnes femmes : « C’est un Anglais… » Il marchait entre sa mère et Élisée, qui se souriaient par-dessus sa joie. « Oh ! mère, Monsieur voyez-ça… Monsieur Élisée, qu’est-ce qu’on fait là-bas ?… Allons voir !… » Et d’un côté de l’avenue à l’autre, en zigzags curieux, on s’enfonçait toujours plus avant dans la foule épaissie, en suivant son mouvement de flot.

— Si nous revenions !… propose Élisée ; mais l’enfant est comme ivre. Il supplie, tire la main de sa mère, et elle est si heureuse de voir son petit endormi sorti de sa torpeur, elle-même surexcitée par cette fermentation populaire, que l’on avance encore, et encore…

La journée devient plus chaude, comme si le soleil, en descendant, ramassait du bout de ses rayons une brume d’orage ; et à mesure