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LES ROIS EN EXIL

pitié les passants foulant le sable. Mais ce qu’on voyait surtout, c’était ces petites voitures de bébés, premier luxe de l’ouvrier en ménage, ces berceaux qui marchent, où de petites têtes encadrées de bonnets à ruches dodelinent bienheureusement, attendent le sommeil, les yeux levés vers l’entrelacement des branches sur le bleu.

Parmi toutes ces promenades de petites gens, l’équipage aux armes d’Illyrie, avec son attelage et sa livrée, ne passait pas sans exciter un certain étonnement, Frédérique n’étant jamais venue là qu’en semaine. On se poussait du coude ; les familles d’ouvriers en bandes, silencieuses dans la gêne de l’endimanchement, s’écartaient au bruit des roues, se retournaient ensuite, ne ménageant pas leur enthousiasme à la hautaine beauté de la reine près de l’aristocratique enfance de Zara. Et quelquefois une petite mine effrontée sortait du taillis pour crier : « Bonjour, Madame… » Était-ce les paroles d’Élisée, la splendeur du temps, la gaieté répandue jusque vers ce fond d’horizons que les usines éteintes laissaient limpides et vraiment champêtres, ou la cordialité de ces rencontres ? Frédérique ressentait une espèce de sympathie pour ce dimanche d’ouvriers, paré presque partout d’une propreté touchante, étant donnés les durs travaux et la rareté des loisirs. Quant à Zara, il ne tenait pas en place,