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mort, un silence lourd, écrasant tout le palais, et dans lequel il semblait qu’on entendit distinctement les fusils de l’émeute s’armer et craquer les ais du trône… Louis-Philippe était déjà vieux, bien bourgeois, s’avançait vers la clôture à petits pas bedonnants, son parapluie à la main. Rien du souverain, rien du maître. Mais mon père ne le vit pas ainsi ; et de penser que dans le grand palais des rois de France, tout pavé de glorieux souvenirs, le représentant de la monarchie s’en allait à travers cette effrayante solitude que fait aux princes la haine des peuples, quelque chose s’émut et se révolta en lui, il oublia toutes ses rancunes, se découvrit brusquement, instinctivement, et cria, sanglota plutôt, un « Vive le roi ! » si vibrant, si convaincu, que le vieillard tressaillit et le remercia d’un long regard plein d’émotion.

— J’ai dû vous remercier ainsi…, dit Frédérique, et ses yeux fixaient Méraut avec une telle reconnaissance attendrie que le pauvre garçon se sentit pâlir. Presque aussitôt elle reprit, toute au récit qu’elle venait d’entendre :

— Votre père n’était pourtant pas un homme de la noblesse ?

— Oh ! non, madame… tout ce qu’il y a de plus roturier, de plus humble… un ouvrier tisseur.

— C’est singulier…, fit-elle rêveuse.