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d’argent la table de whist s’installait, ce qu’on appelait le jeu de la reine : le duc, en face de Sa Majesté, avec madame Éléonore et Boscovich pour adversaires. La princesse pianotait en sourdine quelques-uns de ces « échos d’Illyrie » que Frédérique ne se lassait jamais d’entendre, et qu’au moindre signe satisfait la musicienne accentuait en chant de guerre ou de bravoure. Ces évocations de la patrie, amenant sur le visage des joueurs un sourire mouillé, une expression héroïque, rompaient seules l’atmosphère d’exil résigné, d’habitudes prises, dans ce riche salon de bourgeois abritant des Majestés.

Dix heures sonnèrent.

La reine, au lieu de remonter dans ses appartements comme tous les soirs, donnant par son départ le signal de la retraite, promena un regard distrait autour d’elle :

— Vous pouvez vous retirer. J’ai à travailler avec M. Méraut.

Élisée, occupé à lire près de la cheminée, s’inclina en fermant la brochure qu’il feuilletait et passa dans la salle d’étude pour prendre des plumes, de l’encre, de quoi écrire.

Quand il revint, la reine était seule, écoutant les voitures rouler dans la cour, pendant que se refermait le grand portail et que, par les couloirs, les escaliers de l’hôtel, sonnaient les allées et venues qui précèdent dans une maison nombreuse l’heure du repos. Le silence se