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LES ROIS EN EXIL

nait, sans les entendre, dans leur démarche de mécontents, dans leur lassitude de gens trois fois renvoyés. C’est qu’elle essayait vraiment de mettre de l’ordre dans leur nouveau train de vie ; mais le malheur s’en mêlait, de mauvais placements, des valeurs paralysées. Il fallait attendre ou tout perdre. Pauvre reine Frédérique qui croyait tout connaître en fait de souffrances, il lui manquait ces détresses qui fanent, le contact dur et blessant de la vie banale et quotidienne. Il y avait des fins de mois auxquelles elle songeait la nuit, en frissonnant, comme un chef de maison de commerce. Parfois, les gages des domestiques se trouvant arriérés, elle craignait de comprendre, dans le retard d’un ordre, dans un regard un peu moins humble, le mécontentement d’un serviteur. Enfin elle connaissait la dette, la dette peu à peu harcelante et qui force de l’insolence de ses poursuites les portes les plus hautes, les mieux dorées. Le vieux duc, grave et muet, épiait toutes les angoisses de sa reine, rôdait autour d’elle comme pour lui dire : « Je suis là. » Mais elle était bien décidée à tout épuiser avant de reprendre sa parole, avant de s’adresser à celui qu’elle avait écrasé d’une aussi fière leçon.

Un soir, on veillait au grand salon, veillée monotone et toujours la même, qui se passait du roi comme à l’ordinaire. Sous les flambeaux