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Tout le caractère de Christian s’expliquait par cette anecdote. Eh non ! sans doute, ce n’était pas un méchant homme, mais un homme enfant, marié trop jeune, avec des passions bouillonnantes et des vices d’hérédité. La vie qu’il menait, les nuits au cercle, les filles, les soupers, c’est dans un certain monde le trait normal des maris. Tout s’aggravait de ce rôle de roi qu’il ne savait pas tenir, de ces responsabilités au-dessus de sa taille et de ses forces, et surtout de cet exil qui le démoralisait lentement. De plus solides natures que la sienne ne savent pas résister à ce désarroi des habitudes rompues, de l’incertitude renouvelée, avec l’espoir insensé, les angoisses, l’énervement de l’attente. Comme la mer, l’exil a sa torpeur ; il abat et engourdit. C’est une phase de transition. On n’échappe à l’ennui des longues traversées que par des occupations fixes ou des heures d’étude régulières. Mais à quoi peut s’occuper un roi qui n’a plus de peuple, de ministres ni de conseil, rien à décider, à signer, et beaucoup trop d’esprit ou de scepticisme pour s’amuser au simulacre de toutes ces choses ; beaucoup trop d’ignorance pour tenter une diversion vers quelque autre travail assidu ? Puis l’exil, c’est la mer, mais c’est aussi le naufrage, jetant les passagers des premières, les privilégiés, pêle-mêle avec les passagers du pont et de la belle étoile. Il faut un fier prestige, un