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LES ROIS EN EXIL

Europe… donné à l’oncle Sauvadon, « à mon oncle !… » Pourquoi ?… Pour avoir vendu du vin coupé à Bercy ?

— Oh ! c’est bien simple, dit l’autre en frisant ses petits yeux gris, je me suis payé le grade de commandeur comme je m’étais payé le titre de prince… Un peu plus, j’avais le grand cordon de l’ordre, car il était à vendre aussi.

— Où donc ? fit Élisée pâlissant.

— Mais à l’agence Lévis, rue Royale… On trouve de tout chez ce diable d’Anglais… Ma croix m’a coûté dix mille francs… le cordon en valait quinze mille… Et je connais quelqu’un qui se l’est offert… Devinez qui ?… Biscarat, le grand coiffeur, Biscarat du boulevard des Capucines… Mais, mon bon, ce que je vous dis là est connu de tout Paris… Allez-vous-en chez Biscarat, vous verrez au fond de la grande salle où il officie au milieu de ses trente garçons une immense photographie qui le représente en Figaro, le rasoir à la main, et le cordon de l’ordre en sautoir… Le dessin est reproduit en petit sur tous les flacons de la boutique… Si le général voyait cela, c’est sa moustache qui lui remonterait dans le nez… vous savez, quand il fait…

Il essayait d’attraper la grimace du général ; mais comme il n’avait pas de moustache, ce n’était pas ça du tout.