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LES ROIS EN EXIL

paraissait dans l’énorme cravate blanche de clergyman qui lui sanglait le cou. En même temps, sa prunelle se mettait à virer, virer, brouillant dans ses yeux bien ouverts sa pensée indéchiffrable, pendant que le regard de son adversaire, ondulant et rampant sous des paupières abaissées, répondait à la faconde coquine de l’Anglais par la ruse visible encore dans un museau de belette étroit et glabre. Avec ses cheveux clairs, frisés et roulés, ses vêtements austèrement noirs et montants, la correction de sa tenue circonspecte, maître Lebeau avait quelque chose d’un procureur à l’ancien Châtelet ; mais comme il n’est rien de tel que les débats, les colères d’intérêt, pour faire sortir le vrai des natures, en ce moment cet homme si bien élevé, poncé comme ses ongles, le savoureux Lebeau, coqueluche des antichambres royales, ancien valet de pied aux Tuileries, laissait voir le hideux larbin qu’il était, âpre au gain et à la curée.

Pour s’abriter d’une ondée de printemps balayant la cour à grande eau, les deux compères s’étaient réfugiés dans la vaste remise aux murs blancs, tout frais crépis, garnis à mi-hauteur de nattes épaisses qui protégeaient contre l’humidité les nombreux et magnifiques équipages alignés là, roue contre roue, depuis les carrosses de gala tout en glaces et en dorures, jusqu’au confortable « four-in-hand » des déjeuners de