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LES ROIS EN EXIL

déconfiture, si bien que Séphora, qu’on ne voyait jamais, qui vivait en recluse dans la drôle de châtellenie que s’est payée Tom Lévis, vient de faire, il y a quelques mois, une nouvelle apparition dans le monde sous la figure du plus délicieux teneur de livres… Dame ! la clientèle s’en est ressentie. La fleur des clubs commence à se donner rendez-vous rue Royale. On flirte au grillage de la caisse comme autrefois dans le magasin d’antiquités ou la chambre aux numéros du « family. » Quant à moi, je n’en suis plus. Cette femme m’effraye à la fin. Toujours la même depuis dix ans, sans un pli, sans une ride, avec ses grands cils abaissés dont la pointe se relève en accroche-cœur, le dessous des yeux toujours jeune et plein, et tout cela pour ce mari grotesque qu’elle adore !… Il y a de quoi troubler et décourager les plus épris.

Le roi froissa les cartes avec dépit :

— Allons donc ! Est-ce que c’est possible ?… Un vilain singe, un poussah comme Tom Lévis !… chauve… quinze ans de plus qu’elle… un baragouin de pick-pocket…

— Il y en a qui aiment ça, Monseigneur.

Et le prince royal, avec son accent traînard et canaille :

— Rien à faire de cette femme-là… J’ai sifflé au disque assez longtemps… Pas mèche… La voie est barrée…