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genou sous la table, tandis qu’elle me regardait d’une certaine façon angélique et limpide me laissant croire à l’ignorance, à la candeur d’une vraie vertu. Voilà qu’un jour, en arrivant rue Eginhard, je trouve la brocante sens dessus dessous, la mère en larmes, le père furieux, fourbissant une vieille arquebuse à rouet dont il voulait se servir pour fracasser l’infâme ravisseur… La petite venait de filer avec le baron Sala, un des plus riches clients du père Leemans, lequel, je l’ai su depuis, avait lui-même brocanté sa fille comme n’importe quel bijou de serrurerie ancienne… Pendant deux ans, trois ans, Séphora cacha son bonheur, ses amours avec ce septuagénaire, en Suisse, en Écosse, au bord des lacs bleus. Puis j’apprends un beau matin qu’elle est de retour et tient un « family hôtel » tout au bout de l’avenue d’Antin. J’y cours. Je retrouve mon ancienne passion toujours adorable et paisible, à la tête d’une table d’hôte bizarre, garnie de Brésiliens, d’Anglais, de cocottes. Une moitié des convives mangeait encore la salade que l’autre relevait déjà la nappe pour attaquer un baccarat. C’est là qu’elle connut J. Tom Lévis, pas beau, déjà pas jeune, et sans le sou par-dessus le marché. Qu’est-ce qu’il lui fit ? Mystère. Ce qui est sûr, c’est qu’elle vendit son fonds pour lui, l’épousa, l’aida à installer l’agence d’abord prospère et richement montée, maintenant en