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ture et éclairage. Leemans garda pour lui, et les amateurs continuèrent à hanter sa moisissure de la rue Eginhard ; mais pour le public, les passants, pour le Parisien suiveur et gobeur, il ouvrit en pleine rue de la Paix un superbe magasin d’antiquailles, qui avec les ors fauves, l’argent foncé des vieux bijoux, les dentelles bises au ton de momie, fit tort aux boutiques somptueuses de la bijouterie ou de l’orfèvrerie modernes ruisselant de richesses sur la même voie. Séphora avait quinze ans alors, et sa beauté juvénile et calme s’entourait bien de toutes ces vieilleries. Et si intelligente, si adroite à faire l’article, d’une sûreté d’œil, aussi entendue que le père sur la vraie valeur d’un bibelot. Ah ! il en venait des amateurs à la boutique, pour le plaisir de frôler ses doigts, la soie moirée de ses cheveux, en se penchant sur la même vitrine. La mère pas gênante, une vieille avec le tour des yeux si noir qu’elle avait l’air de porter bésicles, toujours ravaudant, le nez sur quelque guipure ou de vieux morceaux de tapis, ne s’occupant pas plus de sa fille… Et qu’elle avait bien raison ! Séphora était une personne sérieuse que rien ne pouvait déranger de son chemin.

— Vraiment ? dit le roi, qui parut enchanté.

— Votre Majesté en jugera par ceci. La mère Leemans couchait au magasin ; la fille, elle, vers dix heures, retournait à la brocante