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fût bien forte, la figure ovale et mate de la recluse, ses prunelles brillantes, ses cheveux lisses bien séduisants, pour triompher du préjugé, subsister dans cette mémoire de slave et de catholique que hantaient dès l’enfance les pillages, les maléfices endiablés des juifs bohèmes de son pays. Il continua ses questions. Malheureusement le prince perdait, et, tout à son jeu, grognait dans sa longue barbe jaune :

— Ah ! mais je m’embête, moi… Je m’embête…

Impossible d’en tirer une parole de plus.

— Bon !… voilà Wattelet… Arrive ici, Wattelet…, dit le roi à un grand garçon qui venait d’entrer, frétillant et bruyant comme un jeune chien.

Ce Wattelet, le peintre du Grand-Club et du high-life, de loin assez beau de visage, mais sur les traits la fatigue, les marques d’une vie surmenée, représentait bien l’artiste moderne si peu ressemblant à la flamboyante tradition de 1830. Correctement mis, coiffé de même, courrier des salons et des coulisses, il n’avait gardé du rapin d’atelier que la souple allure un peu déhanchée sous son habit d’homme du monde, et dans l’esprit comme dans le langage la même désarticulation élégante, un pli de bouche insouciant et blagueur. Venu un jour au cercle pour décorer la salle à manger,