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LES ROIS EN EXIL

Aussi, connaissant le moyen de faire parler l’Altesse, de délier cet esprit engourdi et lourd que les vins de France — dont le prince abusait pourtant — n’étaient pas plus parvenus à mettre en branle que la fermentation de la vendange ne gonfle et n’enlève en aérostat un foudre pesant cerclé de fer, Christian demanda-t-il bien vite des cartes. Comme les héroïnes de Molière n’ont d’esprit que l’éventail en main, d’Axel ne retrouvait un peu de vie qu’en tripotant « le carton. » La Majesté tombée et le présomptif en disgrâce, ces deux célébrités du club, entamèrent donc avant dîner un bezigue chinois, le jeu le plus gommeux du monde parce qu’il ne fatigue pas la tête et permet au joueur le plus maladroit de perdre une fortune sans le moindre effort.

— Tom Lévis est donc marié ? demanda Christian II d’un air négligent, en coupant les cartes. L’autre le regarda avec ses yeux morts, bordés de rouge :

— Saviez pas ?

— Non… Qu’est-ce que c’est que cette femme ?

— Séphora Leemans… célébrité…

Le roi tressaillit à ce nom de Séphora :

— Elle est juive ?

— Probable…

Il y eut un moment de silence. Et vraiment il fallait que l’impression laissée par Séphora