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haut, ses cheveux fins rabattus sur ses yeux devant lesquels dansaient des flammes. On en frôle parfois dans les rues de ces bonheurs exubérants, le pas léger, la tête haute ; il semble qu’ils laissent une phosphorescence à vos habits sur leur passage. Christian arriva au cercle dans ces mêmes dispositions heureuses, malgré la tristesse des salons en enfilade où s’amassait l’ombre de cette heure indécise, désœuvrée, du crépuscule, mélancolique surtout dans ces endroits demi-publics auxquels manquent l’intimité, l’habitude de la demeure. On apportait des lampes. Du fond, venait le bruit d’une partie de billard sans entrain avec des fracas d’ivoire aux parois sourdes, un froissement de journaux lus, et le ronflement las d’un dormeur étalé sur le divan du grand salon, que l’entrée du roi dérangea et fit retourner avec un bâillement édenté, l’étirement sans fin de deux bras maigres, en même temps qu’une voix morne demandait :

— Est-ce qu’on fait la fête ce soir ?…

Christian eut un cri de joie :

— Ah ! mon prince, je vous cherchais.

C’est que le prince d’Axel, plus familièrement Queue-de-Poule, depuis dix ans qu’il battait en amateur le trottoir parisien, le savait du haut en bas, en long et en large, du perron de Tortoni au ruisseau, et pourrait sans doute lui fournir les renseignements qu’il voulait.