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pudente. Personne — pas même les employés de son agence, si bien dressés pourtant — n’avait sa façon d’examiner les factures curieusement, comme des palimpsestes, de les rejeter dans un tiroir d’un air supérieur ; personne n’avait ses rubriques pour ne pas payer, pour gagner du temps. Le temps ! C’est bien là-dessus que Tom Lévis comptait pour retrouver enfin quelque opération fructueuse, ce qu’il appelait « un grand coup » dans l’argot imagé de la bohème d’argent. Mais il avait beau prendre le cab, arpenter Paris fiévreusement, l’œil aux aguets, les dents longues, flairant et attendant la proie, les années se passaient, et le grand coup n’arrivait pas.

Un après-midi que l’agence fourmillait de monde, un grand jeune homme de mine alanguie et hautaine, œil narquois, moustache fine sur la pâleur bouffie d’un joli visage, s’approcha du guichet principal et demanda à parler à Tom Lévis. L’employé, se trompant sur l’intention cavalière qui soulignait la demande, crut à un créancier et prenait déjà sa mine la plus dédaigneuse, quand le jeune homme, d’une voix aiguë dont le nasillement doublait l’impertinence, déclara à « cette espèce d’enflé » qu’il eût à prévenir son patron tout de suite que le roi d’Illyrie voulait lui parler. — « Ah ! Monseigneur… Monseigneur… », Il y eut dans