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LES ROIS EN EXIL

le grand modiste ayant vu revenir toute sa clientèle et le pauvre Tom attendant en vain le retour de la sienne. L’article : « Renseignements, discrétion, célérité » ne donnait plus ou presque plus ; et le mystérieux général ne venait plus toucher de gratification clandestine aux bureaux de l’agence. Tout autre à la place de Lévis aurait enrayé ; mais ce diable d’homme avait d’invincibles habitudes de dépense, quelque chose dans les mains qui les empêchait de se fermer. Et puis les Spricht étaient là, lugubres depuis les événements, annonçant la fin du monde comme proche, et s’étant fait construire au fond de leur parc une réduction des ruines de l’Hôtel de Ville, murs effondrés noircis de flammes. Le dimanche soir, on éclairait cela de feux de Bengale, et tous les Spricht se lamentaient autour. C’était sinistre. J. Tom Lévis, au contraire,. devenu républicain en haine de son rival, fêta la France régénérée, organisa des joutes, des régates, couronna des rosières, et lors d’un de ces couronnements, dans une expansion de joie luxueuse, enlevait un soir d’été — à l’heure du concert — la musique des Champs-Élysées, venue en yacht à Courbevoie, toutes voiles dehors et jouant sur l’eau.

Les dettes s’accumulaient à ce train-là, mais l’Anglais ne s’en inquiétait guère. Personne ne s’entendait mieux que lui à déconcerter les créanciers à force d’aplomb et de majesté im-