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LES ROIS EN EXIL

pluie — quand il en est besoin — aux clientes qui descendent de voiture. Devant vous une immense salle partagée par des barrières, des grillages à guichets, en une foule de compartiments, de « box » réguliers à droite et à gauche jusqu’au fond. Le jour éblouissant fait reluire les parquets cirés, les boiseries, les redingotes correctes et les frisures au petit fer des employés, tous élégants, de belle mine, mais d’accent et d’air étrangers. Il y a là les teints olivâtres, les crânes pointus, les étroites épaules asiatiques, des colliers de barbe américains sous des yeux bleu faïence, de rouges carnations allemandes ; et dans quelque idiome que l’acheteur fasse sa commande, il est toujours sûr d’être compris, car on parle toutes les langues à l’agence, excepté la langue russe, bien inutile du reste, puisque les Russes les parlent toutes, excepté la leur. La foule va et vient autour des guichets, attend sur les chaises légères, messieurs et dames en tenue de voyage, mélange de bonnets d’astrakan, toques écossaises, longs voiles flottants au-dessus de waterproof, de cache-poussière, de twines à carreaux habillant indistinctement les deux sexes, et des paquets en courroie, des sacs de cuir en sautoir, un vrai public de salle d’attente, gesticulant, parlant haut, avec le sans-gêne, l’aplomb de gens hors de chez eux, faisant en plusieurs langues le même charivari