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LES ROIS EN EXIL

château, était chaude et capitonnée comme un nid, tendue de pourpre, ornée aux murs de trophées d’armes anciennes, avec des divans, des meubles bas, des peaux d’ours et de lions, et parmi ce luxe douillet, presque oriental, renfermait l’originalité d’un petit lit de camp sur lequel couchait le roi par une tradition de famille et cette pose à la simplicité spartiate qu’affectent volontiers les millionnaires et les souverains.

La porte était ouverte.

En face de Christian debout, accoté au mur, le chapeau en arrière sur sa tête décomposée et pâle, sa longue fourrure entr’ouverte et laissant voir l’habit remonté, la cravate blanche dénouée, le large plastron de toile en cassures raides et souillées, toute cette friperie du linge qui marque la fatigue de la nuit passée et le désordre de l’ivresse, la reine se tenait droite, sévère, la voix grondante et sourde, toute tremblante du violent effort qu’elle faisait pour se contenir :

— Il le faut… il le faut… venez !

Mais lui très bas, l’air honteux :

— Je peux pas… Vous voyez bien que je peux pas… Plus tard… vous promets.

Puis il bégayait des excuses, d’un rire bête, d’une voix d’enfant… Ce n’était pas ce qu’il avait bu. Oh ! non… mais l’air, le froid, en sortant du souper.