Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/135

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
130
LES ROIS EN EXIL

raut, qui assistait à toutes ces présentations, se sentait remué jusqu’au fond des entrailles ; la légende de son enfance revivait dans ces enthousiasmes venus de si loin, et le voyage à Frohsdorf des bourgadiers de l’enclos de Rey, les privations, les préparatifs du départ, les déconvenues inavouées du retour lui revenaient à la mémoire, tandis qu’il souffrait de l’attitude indifférente, obsédée, de Christian, et de ses soupirs de soulagement à la fin de chaque entrevue. Au fond, le roi était furieux de ces visites qui dérangeaient ses plaisirs, ses habitudes, le condamnaient aux après-midi si longues de Saint-Mandé. À cause de la reine, il accueillait pourtant de quelques phrases banales les protestations suffoquées de larmes de tout ce pauvre peuple, puis se vengeait de son ennui par une drôlerie quelconque, une charge crayonnée sur un bout de table avec l’esprit de raillerie méchante marqué à l’angle de ses lèvres. Il avait ainsi caricaturé un jour le syndic des pêcheurs de Branizza, large face italienne aux joues tombantes, aux yeux arrondis, hébétée par le tremblement et la joie de l’entrevue royale, des larmes roulant jusqu’au menton. Le chef-d’œuvre circulait à table le lendemain parmi les rires, les exclamations des convives. Le duc lui-même, dans son mépris du populaire, venait de froncer son vieux bec en signe d’énorme hilarité, et le dessin arri-