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la meilleure volonté du monde il a bien fallu nous rendre.

— Eh bien ! cette fois, si le pain manque, nous prendrons la besace et nous irons aux portes[1],…. mais la royauté ne se rendra pas.

Quelle scène, dans cet étroit salon de la banlieue de Paris, ce débat entre deux princes déchus, l’un qu’on sentait fatigué de la lutte, les jambes coupées par son défaut de croyance, l’autre exaltée d’ardeur et de foi ; et comme rien qu’à les voir leurs deux natures se révélaient bien ! Le roi souple, fin, le cou nu, les vêtements flottants, toute sa mollesse visible à l’efféminement des mains tombantes et pâles, aux frisures légèrement humectées de son front blanc ; elle, svelte et superbe en amazone à grands revers, un petit col droit, des manchettes simples bordant seulement le deuil de son costume où éclataient le sang vif, l’éclair des yeux, les torsades dorées. Élisée pour la première fois eut la vision rapide et nette de ce qui se passait dans ce ménage royal.

Tout à coup Christian II se tournant vers le duc debout contre la cheminée, la tête basse :

— Rosen !…

— Sire ?…

— C’est toi seul qui peux nous dire cela…

  1. Aller aux portes, mendier. Expression de là-bas. A. D.