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LES ROIS EN EXIL

Le roi venait de paraître sur le balcon, tenant entre ses bras le petit prince et lui montrant cet horizon de verdure, de toits, de coupoles, et le mouvement de la rue dans sa belle lumière de fin du jour.

— Oh ! oui, bien beau !… disait l’enfant, un pauvre petit de cinq à six ans, aux traits tirés et marqués, les cheveux trop blonds, coupés ras comme après une maladie, et qui regardait autour de lui avec un bon petit sourire souffreteux, étonné de ne plus entendre les canons du siège et tout égayé de la joie d’alentour. Pour celui-là, l’exil s’annonçait d’une façon heureuse. Le roi non plus n’avait pas l’air bien triste ; il apportait du dehors, de deux heures de boulevard, une physionomie brillante, émoustillée, qui faisait contraste au chagrin de la reine. C’étaient, du reste, deux types absolument distincts : lui, mince, frêle, le teint mat, des cheveux noirs et frisés, sa moustache claire qu’il effilait perpétuellement d’une main pâle et trop souple, de jolis yeux un peu troubles et dans le regard quelque chose d’irrésolu, d’enfantin, qui faisait dire en le voyant et bien qu’il eût passé la trentaine : « Comme il est jeune ! » La reine, au contraire, une robuste Dalmate, l’air sérieux, le geste rare, le vrai mâle des deux malgré la splendeur transparente de son teint et ses magnifiques cheveux de ce blond de Venise où l’Orient semble