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LES ROIS EN EXIL

— Monsieur Méraut, Sa Majesté désirerait avoir votre sentiment sur ceci.

Et l’étonnement d’Élisée était grand de n’entendre jamais le roi l’entretenir lui-même de ces questions qui l’intéressaient si fort. Christian II le traitait avec certains égards, lui parlait sur un ton de camaraderie familière, excellent, mais bien futile. Quelquefois, traversant le cabinet d’étude, il s’arrêtait une minute pour écouter la leçon, puis, la main posée sur l’épaule du dauphin :

— Ne le poussez pas trop, disait-il à mi-voix comme un écho du bruit subalterne de la maison… Vous ne voulez pas en faire un savant…

— Je veux en faire un roi, répondait Frédérique avec fierté.

Et sur un geste découragé de son mari :

— Ne doit-il pas régner un jour ?

Alors lui :

— Mais si… mais si…

Et après un salut profond, la porte refermée pour couper court à toute discussion, on l’entendait fredonner sur l’air d’une opérette en vogue : « Il règnera… il régnera… car il est Espagnol. » En somme, Élisée ne savait trop à quoi s’en tenir sur le compte de ce prince accueillant, superficiel, parfumé, coquet, plein de caprices, vautré parfois sur les divans avec des fatigues énervées, et qu’il croyait être le