Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/123

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
118
LES ROIS EN EXIL

elle vivement, et ce serait une grande injustice de la juger comme les autres femmes. Les autres femmes peuvent être heureuses ou malheureuses ouvertement, pleurer toutes leurs larmes et crier si la douleur est trop forte. Mais les reines !… Douleurs d’épouses, douleurs de mères, il leur faut tout cacher, tout dévorer… Est-ce qu’une reine peut s’enfuir quand elle est outragée ? Est-ce qu’elle peut plaider en séparation, donner cette joie aux ennemis du trône ?… Non, au risque de paraître cruelle, aveugle, indifférente, il faut garder le front toujours droit pour y maintenir sa couronne. Et ce n’est pas l’orgueil, mais le sentiment de notre grandeur qui nous soutient. C’est lui qui nous fait sortir en voiture découverte entre l’enfant et le mari, avec la menace en l’air des coups de feu d’une conspiration, lui qui nous rend moins lourds l’exil et son ciel de boue, lui enfin qui nous donne la force de supporter certains affronts cruels, dont vous devriez être la dernière à me parler, princesse de Rosen.

Elle s’animait à son discours, le précipitait vers la fin, puis cinglait son cheval d’un « hep » vigoureux qui le lançait à travers bois dans le coup de vent, l’étourdissement d’une course folle où claquaient le voile bleu de l’amazone, les plis de sa robe de drap.

Désormais Colette laissa la reine tranquille ;