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LES ROIS EN EXIL

atteinte par ce harcèlement de piqûres, ne comprenait pas, ou ne voulait pas comprendre.

Elle se trahit une seule fois, un matin, dans le bois de Saint-Mandé, pendant la promenade à cheval.

Il faisait un petit froid aigre du mois de mars, qui, rebroussant toute l’eau du lac, la fronçait vers les bords encore rigides et sans fleurs. Quelques bourgeons pointaient sur les taillis dépouillés qui gardaient de rouges baies d’hiver ; et les chevaux enfilant côte à côte un sentier rempli de branches mortes les faisaient craquer avec un bruit luxueux de cuirs neufs et de gourmettes secouées dans le silence désert du bois. Les deux femmes, aussi bonnes écuyères l’une que l’autre, avançaient doucement, absorbées par ce calme d’une saison intermédiaire où se prépare le renouveau dans le ciel chargé de pluie et la terre noire des dernières neiges. Colette pourtant, comme à chaque fois qu’elle se trouvait seule avec la reine, entama bientôt son sujet favori. Elle n’osait pas attaquer le roi directement, mais elle se rattrapait sur l’entourage, les gentilshommes du Grand-Club qu’elle connaissait tous par Herbert, par la chronique parisienne, et qu’elle habillait de main d’ouvrier, le prince d’Axel avant tous les autres. Vraiment elle ne comprenait pas qu’on fît sa société d’un homme pareil, passant sa vie à jouer, à ripailler, ne se plaisant que dans