Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/12

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fenêtre, la rejetaient au fond de son carrosse pendant ses courtes promenades. Oh ! ces cris de mort sous les terrasses de son château de Leybach, en regardant le grand palais des rois de France, elle croyait les entendre encore. Elle voyait la dernière séance du conseil, les ministres blêmes, fous de peur, suppliant le roi d’abdiquer… puis la fuite, en paysans, la nuit, à travers la montagne… les villages soulevés et hurlants, ivres de liberté comme les villes… des feux de joie partout, sur les cimes… et l’explosion de larmes tendres qu’elle avait eue au milieu de ce grand désastre, en trouvant dans une cabane du lait pour le souper de son fils… enfin la subite résolution qu’elle inspirait au roi de s’enfermer dans Raguse encore fidèle, et là, deux mois de privations et d’angoisses, la ville investie, bombardée, l’enfant royal malade, mourant presque de faim, la honte de la reddition pour finir, l’embarquement sinistre au milieu d’une foule silencieuse et lasse, et le navire français les emportant vers d’autres misères, vers le froid, l’inconnu de l’exil, tandis que derrière eux le drapeau de la République illyrienne flottait tout neuf et vainqueur sur le château royal effondré… Les Tuileries en ruine lui rappelaient tout cela.

— C’est beau Paris, n’est-ce pas ? dit tout à coup près d’elle une voix joyeuse et jeune, malgré son nasillement.