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à Mabille dès le premier soir de l’arrivée, y satisfaisait ses désirs aiguisés longtemps à distance par la lecture de certains journaux parisiens donnant chaque jour le menu appétissant de la vie galante, par des pièces, des romans qui la racontent, l’idéalisent, pour la province et l’étranger. Sa liaison avec madame de Rosen l’arrêtait quelque temps sur cette pente du plaisir facile qui ressemble aux petits escaliers des restaurants de nuit, inondés de lumière, bien tapissés en haut, descendus marche à marche par l’ivresse commençante, rendus plus rapides au bas dans l’air vif des portes ouvertes, et qui mènent droit au ruisseau, à l’heure vague des boueux et des crocheteurs. Christian s’abandonnait maintenant à cette descente, à cette chute, et ce qui l’encourageait, le grisait plus que les vins de dessert, c’était la petite cour, le clan dont il s’entourait, gentilshommes décavés à l’affût de dupes royales, journalistes viveurs dont le reportage payé l’amusait, et qui, fiers de cette intimité avec l’illustre exilé, le conduisaient dans les coulisses de théâtre où les femmes n’avaient d’yeux que pour lui, émues et provocantes, le fard en rougissante confusion sur leurs joues émaillées. Vite au courant de la langue boulevardière, avec ses tics, son exagération, ses veûleries, il disait comme un parfait gommeux : « Chic, très chic… C’est infect… on se tord… »