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LES ROIS EN EXIL

pirations subites — il s’était mis à la suivre longtemps, bien longtemps, jusqu’à un fameux restaurant du quai d’Orsay. À force d’imagination et d’adresse, la princesse avait pu se dispenser du cérémonieux repas à la table de la reine, et venait déjeuner avec son amant en cabinet particulier. Ils mangeaient devant la fenêtre, toute basse, découpant une vue splendide : la Seine dorée de soleil, les Tuileries derrière en masse de pierre et d’arbres, et tout près les mâts croisés de la frégate-école, dans les verdures en ombre sur ces margelles du quai que les opticiens étoilent de morceaux de verre bleu. Le temps, un temps de rendez-vous, la tiédeur d’un beau jour traversée de piquantes bises. Jamais Colette n’avait ri de si bon cœur ; le rire était le triomphe emperlé de sa grâce, et Christian, qui l’adorait quand elle voulait bien rester la femme de joie qu’il aimait en elle, savourait le déjeuner fin en compagnie de sa maîtresse. Tout à coup, elle aperçut sur le trottoir en face son beau-père se promenant de long en large d’un pas mesuré, décidé à la plus longue attente ; une vraie faction montée à la porte que le vieillard savait la seule issue du restaurant et où il guettait l’entrée des beaux officiers sanglés et droits, venus de la caserne de cavalerie voisine ; car, en sa qualité d’ancien général de pandours, il croyait l’arme irrésistible et ne doutait pas que sa