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LES ROIS EN EXIL

tenait sur ses genoux, dans le désordre et l’abandon de l’amour, sa petite Colette aux pattes douces, au museau rose, les rapports sur les récentes résolutions de la Diète de Leybach ou l’effet du dernier placard royaliste lui jetaient au cœur ce frisson que cause un changement brusque de température, les gelées d’avril sur la floraison d’un verger.

Dès lors les scrupules lui vinrent et les remords, les remords compliqués et naïfs d’un Slave et d’un catholique. Son caprice satisfait, il commençait à sentir l’odieux de cette liaison si près de la reine, presque sous ses yeux, le danger de ces rendez-vous furtifs, rapides, dans des hôtels où leur incognito pouvait être trahi, et la cruauté qu’il y avait à tromper un être aussi bon que ce pauvre grand diable d’Herbert, qui parlait de sa femme avec une tendresse toujours inassouvie et ne se doutait pas, quand le roi venait le rejoindre au cercle, les yeux brillants, le teint allumé, avec une odeur de bonne fortune, qu’il sortait des bras de Colette. Mais le plus gênant encore, c’était le duc de Rosen, très méfiant des principes de cette bru qui n’était pas de sa caste, inquiet pour son fils, auquel il trouvait une tête de « cocu » — il disait le mot tout à trac, comme un vieux troupier — et dans tout ceci se sentant responsable, car son avarice avait fait ce mariage de roture. Il surveillait Colette, l’emmenait, la