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LES ROIS EN EXIL

tudes douillettes de garçon, la tête enveloppée d’un immense foulard de soie dont il n’oserait jamais s’affubler devant sa Parisienne aux yeux railleurs. À peine au lit, dans l’oreiller brodé, blasonné, une chausse-trappe s’ouvre, où tombe en des profondeurs d’oubli, de repos, l’aide de camp noctambule et fourbu ; mais il en est tiré tout à coup par la sensation douloureuse d’une lumière qui passe et repasse devant ses yeux, d’une petite voix aiguë, en vrille, à son oreille :

— Herbert !… Herbert !…

— Hein ? quoi ?… qui est là ?

— Mais taisez-vous donc, mon Dieu !… C’est moi, c’est Colette.

C’est Colette, en effet, debout devant le lit, son peignoir de dentelles ouvert au cou, fendu aux manches, les cheveux relevés et tordus, la nuque un nid de frisures blondes, tout cela dans la lueur laiteuse d’une petite lanterne qui fait ressortir le regard, agrandi par une expression solennelle et subitement égayé à la vue d’Herbert effaré, stupide, avec son foulard déplacé en pointes menaçantes, sa tête aux moustaches hérissées sortant de son vêtement de nuit en robe d’archange, comme la tête d’un matamore bourgeois surpris dans un mauvais rêve. Mais l’hilarité de la princesse ne dure pas. Sérieuse, elle a posé sa veilleuse sur une table, de l’air décidé de la femme qui vient chercher une scène ; et, sans avoir égard à ce qu’il y a encore