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intensément (et intérieurement) et ses moments les plus beaux témoignent d’une perception fort originale des choses et d’un goût du cinéma qui autorise les plus sérieux espoirs.

Pour de nombreux cinéphiles ces espoirs se réalisèrent dans Le Révolutionnaire, long métrage dramatique que Lefebvre tourna ensuite avec la collaboration précieuse de Michel Régnier. Tourné en six jours et en 16mm, avec un budget de quelques milliers de dollars et des acteurs non-professionnels, Le Révolutionnaire est beaucoup plus qu’un tour de force : malgré ses imperfections et ses naïvetés, malgré sa construction parfois douteuse, c’est un film — et un film neuf. Les admirateurs du film (Michèle Favreau, Gilles Ste-Marie, Yerri Kempf) ont souligné avec raison l’originalité structurale du Révolutionnaire ; Pierre Hébert, lui-même cinéaste, et de plus collaborateur de Lefebvre, s’est attaché à décrire cette particularité du film : « Dans Le Révolutionnaire, le cinéma est beaucoup moins un art visuel qu’un art du temps. L’image est toujours subordonnée à sa durée propre et à sa place dans la durée du film. Ainsi selon les normes habituelles du montage, beaucoup de plans sont trop longs, mais par ailleurs si l’on considère Le Révolutionnaire comme une œuvre abstraite (comme une pièce de musique est abstraite) qui a été conçue sur un rythme lent (qui a par ailleurs sa signification), la longueur des plans ne doit plus être jugée en termes d’une action à soutenir ».[1]

Cette conscience du temps, parallèle à des recherches de structures en profondeur, apparenterait idéalement Le Révolutionnaire aux problèmes très actuels de l’œuvre ouverte. C’est sans doute dépasser le propos et les préoccupations de Lefebvre que d’accorder une telle importance à son premier film ; mais cette réflexion, même si elle prolonge l’œuvre au-delà de sa valeur véritable, a l’avantage de souligner l’intérêt exceptionnel du Révolutionnaire et de marquer la place de choix qu’une telle expérience peut avoir dans le renouveau nécessaire de notre cinéma. Trop souvent nos cinéastes se sont aveuglément enfermes dans des formes déjà mortes : Lefebvre, lui, regarde décidément en avant.

  1. Dans Objectif, n° 34, page 42.