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demeure pas moins fidèle à sa fonction didactique qui acquiert même une efficacité exemplaire.

Cinéaste de très bonne heure, il était normal pour Claude Jutra que ses efforts se concentrent un jour dans une œuvre plus personnelle et plus exigeante : ce fut À tout prendre. À tout prendre mobilisa les efforts de son auteur pendant plus de deux ans pour enfin voir le jour à l’été de 1963 et remporter en même temps le Grand Prix du premier Festival du cinéma canadien. Œuvre touffue, chaotique et baroque, À tout prendre défie encore toute critique systématique, tellement il a soulevé de passions parmi les cinéphiles du Québec.

Sorte de journal intime d’un jeune bourgeois canadien-français, À tout prendre s’est fait une gloire d’être autobiographique. À force de se vouloir sincère l’auteur y est souvent complaisant. Prenant volontiers pour de la lucidité un goût de soi assez vain, Jutra n’en finit plus de se confesser et de confesser ses protagonistes. Néanmoins ce monde trop aimé bascule parfois et nous découvrons alors des hommes et des femmes qui peuvent être touchants, réels : humains.

La forme d’À tout prendre, qui hésite entre le farfelu, le candid et le plastique, dépasse souvent l’intérêt du propos. Jutra est habile jongleur. Les structures qu’il propose dans son film ont de quoi fasciner et ne sont assurément pas le fait du hasard : l’absence extérieure de style est la force même du film.

À tout prendre apparaît comme une étape nécessaire dans l’œuvre de Claude Jutra : ses défauts même — et ils sont nombreux, et ils agacent — sont sans doute les qualités des films à venir. C’est du moins ce que nous aimons penser en attendant Comment savoir et la suite.


GILLES CARLE

Dernier arrivé dans le peloton de tête du cinema québécois, Gilles Carle (né à Maniwaki en 1929), grâce à la popularité de son premier long métrage, La Vie heureuse de Léopold Z., s’est