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est simple, beau et souvent touchant. C’est d’ailleurs un film qui vieillit très bien et que l’on retrouve avec plaisir.

Séjournant en France pour plusieurs mois, Claude Jutra y tourna, à l’automne de 1960, Anna la bonne, poème de Jean Cocteau. C’est l’extraordinaire Marianne Oswald, pour qui Cocteau avait écrit son poème-chanson aux environs de 1935, qui interprète le rôle d’Anna et en même temps son propre personnage de Marianne Oswald, chanteuse. Anna la bonne doit beaucoup au beau texte de Cocteau et au génie de Marianne Oswald, mais il reste que Jutra a trouvé à la matière originale un très riche équivalent plastique et cinématographique. Anna la bonne est une œuvre extrêmement construite, d’un rythme très sûr, dans laquelle le cinéma prolonge constamment la poésie pour devenir lui-même poésie. Au sein de l’œuvre de Jutra Anna la bonne est un enfant gâté : rarement l’auteur a-t-il pu réunir en un seul film, et dans un mouvement harmonieux, ses aspirations oniriques, ses manies d’artiste et son goût du spectacle.

À la même époque, avec la collaboration de Jean Rouch, Jutra tourna Niger. Le film ne sortit cependant que beaucoup plus tard et encore aujourd’hui il demeure pratiquement inconnu. Pourtant c’est un film exceptionnel dans lequel le talent de Jutra a donné sa pleine mesure avec une simplicité peu coutumière. Niger est un reportage d’une heure, en 16mm et couleurs, sur la République du Niger. Parcourant le pays, rencontrant les diverses peuplades, regardant tout autour, Jutra est fasciné et son film nous communique cette fascination. Le point de vue est simple : ni savant, ni démagogique, c’est le regard d’un homme sur d’autres hommes. Et le spectateur apprend a voir, à connaître, à regarder vivre et à aimer un pays et ses habitants. La certitude d’avoir rencontré quelqu’un et d’avoir appris quelque chose, n’est-ce pas le compliment le plus beau que l’on puisse faire à un cinéaste et à son film ? C’est du moins à cette échelle que se mesure le meilleur film de Claude Jutra.

En tant que caméraman, Jutra collabora ensuite a une œuvre collective, La Lutte : c’est lui qui fut responsable de la