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finalement parce que la réalité trop fruste a abusé de l’œil trop confiant du cinéaste-témoin. Pour juste que soit ce regard et cette volonté de voir, le cinéaste se laisse parfois prendre à ses propres pièges et tel Québec-U. S. A., brillant et inutile, trompe à la fois la réalité et celui qui la regarde à travers l’œil du cinéaste ; alors que Seul ou avec d’autres glorifie l’outil, parodiant le réel dans une sorte d’assimilation à la morale bourgeoise de l’instrument le plus libre qui soit.


Pour la Suite du monde.

Mais plus que les étudiants faussement « en situation » de Seul ou avec d’autres ou que les Parisiens trop spectaculaires de Chronique d’un été, ce sont les insulaires de Pour La Suite du monde qui doivent le plus au talent et a la sensibilité de Michel Brault. Ce très beau film qu’il réalisa en 1963 à l’Île-aux-Coudres avec le poète Pierre Perrault demeure le sommet de la carrière de Brault : une sorte d’état de grâce longtemps recherché et qui tout à coup s’épanouit sous forme d’enquête-document poétique aussi bien que dramatique. Il ne faut surtout pas réduire Pour la Suite du monde à une sérié d’images trop belles d’un passé mis au présent ; c’est tellement plus : un chant à la gloire de l’homme, à son génie inventif le plus simple comme le dit d’ailleurs Abel Harvey, un des insulaires, « la pêche aux marsouins, ça été inventé par des génies ».

La forme de Pour la Suite du monde n’est pas vraiment nouvelle. On a fait remarquer avec raison que Flaherty avait déjà provoqué ainsi le passé ; mais là où Brault et Perrault ont innové c’est en utilisant avec une grande habileté un des insulaires comme enquêteur (comme agent provocateur, pourrions-nous dire). La formule du film permet de mettre ainsi et les protagonistes et les spectateurs dans le coup : le cinéaste ne disparaît pas mais c’est toujours le réel qui a le dernier mot.

Pour Brault la rencontre avec Pierre Perrault aura été salutaire. Au contact du poète son génie primesautier s’est discipliné et son intuition affinée. Ce sont ces qualités que l’on retrouvera peu après dans son sketch de La Fleur de l’âge. Ce petit film, partie composante d’une co-production France-Italie-Japon-Canada, est la première expérience « solo » véritable de