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alors. Voulant décrire un congrès de raquetteurs dans une ville de province, Michel Brault et Gilles Groulx, tous deux munis d’une caméra légère, et suivis de près par le magnétophone de Marcel Carrière, se mêlèrent à la fête et en rapportèrent des images étonnantes. Groulx monta le film en faisant de la fête l’image énorme d’un certain homme d’ici et de ses jeux. L’œuvre est souvent méchante — l’occasion était belle ! L’ironie des auteurs n’épargne personne ; néanmoins par delà la bonne blague on retrouve le document ethnographique. Le document devient œuvre d’art, mais demeure document — et c’est là que l’on peut trouver la vraie nouveauté des Raquetteurs, sa vraie qualité révolutionnaire. Les Raquetteurs bénéficiaient d’autre part d’une rencontre de talents qui n’est assurément pas étrangère à sa valeur et à son charme toujours actuels.

Immédiatement après Les Raquetteurs, Groulx tourna Normétal, documentaire sur un centre minier d’Abitibi. Malheureusement, de quarante minutes qu’il faisait originellement, l’O. N. F. décida de réduire le film à trente minutes d’abord, puis à vingt. Groulx, manifestement indigné, refusa de laisser son nom sur cette version finale qui n’avait plus rien à voir avec son film. De Normétal, il reste donc vingt minutes assez touchantes, forcément désarticulées, à travers lesquelles on retrouve parfois une certaine qualité de regard et une grande richesse plastique (la photographie est de Michel Brault). Mais c’est au passé qu’il faut parler du film et c’est à un témoin que l’on doit faire appel : « Normétal était un des plus beaux films jamais faits ici. C’était un poème visuel sans faille sur une petite ville minière d’Abitibi ; c’était 40 minutes de bon cinéma, c’était le visage d’une société donnée à voir par un homme qui la voyait non seulement en cinéaste, mais en humaniste issu d’elle, et ne la concevant adulte que dans la plénitude de ses actes. Normétal c’était 40 minutes de pénétration intime dans les phases sentimentale, familiale et matérielle d’une société. Le montage réunissait dans une même pulsation saine et fraternelle les mineurs, leurs enfants, leurs maisons, leur ville, leurs distractions comme leur travail. »[1]

  1. Michel Régnier, dans Objectif, n° 8, pages 16 et 17.