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L’ÉMANCIPATION DE LA FEMME

sans laquelle les efforts tentés pour élever la condition des femmes sont frappés d’avance d’une radicale impuissance. Si nous ne renouons enfin la chaîne interrompue des traditions libérales, si nous ne renouvelons l’œuvre des Lakanal et des Condorcet, etc., nous ne construirons que cette tour de confusion et de ruines qui attestera à tous les âges notre vaniteuse folie. Cette vérité se confirme par les lumières de la raison, par le témoignage des siècles, par l’autorité des penseurs, à la tête desquels il faut placer M. J. Stuart-Mill, le plus judicieux, le plus convaincu et le plus ardent de tous : « Tous les penchants égoïstes, dit-il, le culte de soi-même, l’injuste préférence de soi-même, qui dominent dans l’humanité, ont leur source et leur racine dans la constitution actuelle des rapports de l’homme et de la femme et y puisent leur principale force… Elle corrompt l’homme tout entier à la fois comme individu et comme membre de la société[1]. »

Réagissons donc contre cette corruption ; cherchons enfin la voie de l’avenir dans la liberté et l’honneur que développent la responsabilité civile et morale, la justice distributive qui forme la solidarité humaine. Pour nous, quand même le droit devrait subir une plus longue éclipse en France, nous aurons conscience d’avoir accompli un devoir en l’affirmant, en le proclamant, dans l’humble mesure de nos forces, à la face de ses blasphémateurs.

Quoi qu’il arrive, nous ne désespérerons jamais de la raison humaine, qui poursuit sans relâche son œuvre à travers les siècles, lors même qu’un absolutisme aveugle, semant à pleines mains les ténèbres épaisses sur l’univers, ne lui laisse éclairer sa voie qu’à travers la lueur des bûchers des Arnaud de Brescia et des Savonarole.

Nous avons donc confiance que l’heure de la femme sonnera dans une atmosphère calme et sereine ; que son jour luira enfin sans que nos oreilles soient attristées par le tocsin qui mêle trop souvent chez nous sa voix lugubre à ses cris d’émancipation.

  1. John Stuart-Mill, l’Assujettissement des femmes. Paris, Guillaumin.