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INDIENS.

origine ont rarement bonne mine. Je me présente chez le secrétaire du général pour lui montrer mon passe-port. Il se met immédiatement à m’interroger de la façon la plus hautaine et la plus mystérieuse. J’ai heureusement sur moi une lettre de recommandation que m’a donnée le gouvernement de Buenos Ayres[1], pour le commandant de Patagones. On porte cette lettre au général Rosas, qui m’envoie un fort gracieux message, et le secrétaire revient me trouver, mais cette fois fort poli et fort gracieux. Nous allons nous établir dans le rancho, ou hutte, d’un vieil Espagnol qui avait suivi Napoléon dans son expédition de Russie.

Nous restons deux jours au Colorado ; je n’ai rien à faire, car tout le pays environnant n’est qu’un marais, lequel, quand les neiges fondent en été (décembre) sur les Cordillères, est inondé par le fleuve. Mon principal amusement consiste à observer les familles indiennes qui viennent acheter différents petits articles dans le rancho qui nous sert d’habitation. On supposait que le général Rosas avait environ six cents alliés indiens. La race est grande et belle ; il me fut cependant facile, plus tard, de reconnaître la même race dans l’habitant de la Terre de Feu ; mais là le froid, le manque d’aliments, l’absence absolue de toute civilisation l’ont rendue hideuse. Quelques auteurs, en indiquant les races primaires de l’espèce humaine, ont séparé ces Indiens en deux classes ; mais c’est certainement là une erreur. On peut réellement dire que quelques jeunes femmes, ou chinas, sont belles. Elles ont les cheveux rudes, mais noirs et brillants, et portent leur chevelure tressée en deux nattes qui leur pendent jusqu’à la ceinture. Elles ont le teint coloré et les yeux fort vifs ; elles ont les jambes, les pieds et les bras petits et de forme élégante ; elles ornent leurs chevilles et quelquefois leur ceinture de larges bracelets de verroteries bleues. Rien de plus intéressant que quelques-uns de ces groupes de famille. Souvent la mère et les deux filles venaient à notre rancho montées sur le même cheval. Elles montent à cheval comme les hommes, mais les genoux beaucoup plus élevés. Cette habitude provient peut-être de ce qu’elles ont l’habitude, en voyage, de monter les chevaux qui portent les bagages. Les femmes doivent

  1. Je saisis cette occasion pour exprimer toute ma reconnaissance de l’obligeance avec laquelle le gouvernement de Buenos Ayres mit à ma disposition, en ma qualité de naturaliste attaché au Beagle, des passe-ports pour toutes les parties du pays.