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LE RIO COLORADO.

Pampas (Athene cunicularia), décrit si souvent comme se tenant en sentinelle à l’entrée des terriers ; dans le Banda oriental, en effet, où on ne trouve pas de Viscaches, cet oiseau est obligé de creuser lui-même son trou.

Le lendemain matin, à mesure que nous nous approchons davantage du rio Colorado, nous remarquons un changement dans la nature du pays. Nous atteignons bientôt une plaine qui, par son gazon, par ses fleurs, par le trèfle élevé qui la recouvre, par le nombre des petits hiboux qui l’habitent, ressemble exactement aux Pampas. Nous traversons aussi un marais boueux qui a une étendue considérable ; ce marais se dessèche en été, et on y trouve alors des incrustations nombreuses de différents sels ; d’où vient, sans doute, qu’on l’appelle un salitral. Ce marais était alors recouvert de plantes basses, vigoureuses, qui ressemblent à celles qui croissent sur le bord de la mer. Le Colorado, à l’endroit où nous le traversons, a environ 60 mètres de large ; le plus ordinairement, il doit avoir le double de cette largeur. Ce fleuve a un lit fort tortueux indiqué par des saules et par des champs de roseaux. En ligne directe, nous nous trouvions, m’a-t-on dit, à 9 lieues de l’embouchure du fleuve ; par eau, il y en a 25. Notre passage en canot se trouva retardé par un incident qui ne laissa pas de nous offrir un spectacle assez curieux : d’immenses troupes de juments traversaient le fleuve à la nage, afin de suivre une division de troupes dans l’intérieur. Rien de plus comique que de voir ces centaines, ces milliers de têtes, tournées toutes dans la même direction, les oreilles dressées, les naseaux grand ouverts, soufflant avec force, juste au-dessus de l’eau, et ressemblant à une troupe considérable d’animaux amphibies. Quand les troupes font une expédition, elles se nourrissent exclusivement de viande de jument, ce qui leur donne une grande facilité de mouvements. On peut, en effet, faire traverser des distances considérables aux chevaux sur ces plaines ; on m’a assuré qu’un cheval non chargé peut faire plusieurs jours de suite 100 milles par jour.

Le camp du général Rosas se trouve tout près du fleuve. C’est un carré formé de charrettes, d’artillerie, de huttes de paille, etc. Il n’y a guère que de la cavalerie, et je pense que jamais on n’a rassemblé armée ressemblant plus à une bande de brigands. Presque tous les hommes sont de race mélangée ; presque tous ont dans les veines du sang nègre, indien, espagnol. Je ne sais pourquoi, mais les hommes ayant une telle