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OISEAUX DE PROIE.

présents en grand nombre dans les estancias, ainsi que dans les abattoirs. Dès qu’un animal meurt dans la plaine, les gallinazos commencent la curée, puis viennent les deux espèces de polyborus, qui ne laissent absolument que les os. Bien que ces oiseaux se rencontrent ensemble sur la même proie, ils sont loin d’être amis. Alors que le carrancha est tranquillement perché sur une branche d’arbre ou qu’il repose sur le sol, le chimango continue souvent à voler pendant longtemps, allant deci delà, montant et descendant, toujours en demi-cercle, essayant de frapper le carrancha chaque fois qu’il passe près de lui. Ce dernier s’en inquiète peu et se contente de baisser la tête. Bien que les carranchas s’assemblent souvent en grand nombre, ils ne vivent pas en société, car dans les endroits déserts on les voit souvent seuls ou la plupart du temps par couples.

On dit que les carranchas sont fort rusés et qu’ils volent un grand nombre d’œufs. De concert avec les chimangos, ils essayent aussi d’enlever les croûtes qui se forment sur les blessures que les chevaux et les mules ont pu se faire sur le dos. D’un côté, le pauvre animal les oreilles pendantes et le dos courbé, d’un autre, l’oiseau menaçant, jetant des regards d’envie sur cette proie dégoûtante, tout cela forme un tableau que le capitaine Head a décrit avec son esprit et son exactitude ordinaires. Ces faux aigles attaquent très-rarement un animal ou un oiseau vivant ; quiconque a eu occasion de passer la nuit, couché dans sa couverture, dans les plaines désolées de la Patagonie et qui, quand il ouvre les yeux le matin, se voit entouré à distance de ces oiseaux qui le surveillent, comprend immédiatement les habitudes de vautour de ces mangeurs de charogne ; c’est là d’ailleurs un des caractères de ces pays qu’on n’oublie pas facilement et que reconnaîtra quiconque les a parcourus. Si une troupe d’hommes part pour la chasse, accompagnée de chevaux et de chiens, plusieurs de ces oiseaux les accompagnent toute la journée. Dès que le carrancha s’est gorgé, son jabot dénudé se projette en avant ; il est alors, comme toujours d’ailleurs, inactif, lourd et lâche ; son vol pesant et lent ressemble à celui du grolle anglais ; il plane rarement ; par deux fois cependant j’en ai vu un planant à une grande hauteur ; il semblait alors se mouvoir dans l’air avec beaucoup de facilité. Au lieu de sautiller, il court, mais pas aussi vite que quelques-uns de ses congénères. Quelquefois, mais assez rarement, le carrancha fait entendre un cri ; ce cri, fort, très-perçant et très-singulier,