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COUP D’ŒIL RÉTROSPECTIF.

Açores, où nous restons six jours. Le 2 octobre, nous saluons les côtes d’Angleterre ; à Falmouth, je quitte le Beagle, après avoir passé près de cinq ans à bord de ce charmant petit vaisseau.

Notre voyage est terminé ; il ne me reste plus qu’à jeter un rapide coup d’œil sur les avantages et les désavantages, sur les fatigues et les jouissances de notre navigation autour du monde. Si on me demandait mon avis avant d’entreprendre un long voyage, ma réponse dépendrait entièrement du goût qu’aurait le voyageur pour telle ou telle science, et des avantages qu’il pourrait trouver au point de vue de ses études. Sans doute, on éprouve une vive satisfaction à contempler des pays si divers, à passer en revue, pour ainsi dire, les différentes races humaines, mais cette satisfaction est loin de compenser les fatigues. Il faut donc que l’on ait un but, que ce but soit une étude à compléter, une vérité à dévoiler, que ce but, en un mot, vous soutienne et vous encourage.

Il est évident, en effet, que l’on fait d’abord des pertes nombreuses : on se trouve séparé de tous ses amis ; on quitte les lieux où vous rattachent tant et de si chers souvenirs. L’espoir du retour vous soutient, il est vrai, dans une certaine mesure ; car si la vie est un songe, comme le disent les poëtes, je suis certain que les visions du voyage sont celles qui, de toutes, aident à traverser le plus rapidement une longue nuit. D’autres privations, que l’on ne ressent pas tout d’abord, laissent bientôt un vide extrême autour de vous : c’est le manque d’une chambre à soi, où l’on puisse se reposer et se recueillir ; c’est le sentiment d’une hâte perpétuelle ; c’est la privation de certains petits conforts, l’absence de la famille, le manque absolu de la musique et des autres plaisirs qui frappent l’imagination. Il va sans dire qu’en parlant de choses aussi insignifiantes je suppose qu’on est déjà habitué aux ennuis réels de la vie de marin et qu’on ne redoute plus rien, sauf les accidents inhérents à la navigation. Pendant ces soixante dernières années, les voyages lointains sont devenus, il est vrai, bien plus faciles. À l’époque de Cook, un homme qui quittait son foyer pour entreprendre de pareilles expéditions s’exposait aux privations les plus dures. Aujourd’hui, on peut faire le tour du monde dans un yacht où l’on trouve tous les conforts. Outre les progrès accomplis dans la construction des navires, outre les progrès des ressources navales, toutes les côtes occidentales de l’Amérique sont bien connues, et l’Australie est devenue un pays civilisé. Quelle différence entre un naufrage dans