Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/507

Cette page a été validée par deux contributeurs.
491
FORCE DE RÉSISTANCE DES RÉCIFS DE CORAIL.

Ce n’est pas que l’Océan épargne le rocher de corail : les immenses fragments épars sur le récif, accumulés sur la côte où s’élèvent les cocotiers, prouvent au contraire la puissance des vagues. Cette puissance s’exerce incessamment ; la grande vague causée par l’action douce, mais constante, des vents alizés soufflant toujours dans la même direction sur une surface considérable, engendre des lames qui ont presque la violence de celles que nous voyons pendant une tempête dans les régions tempérées ; ces lames viennent heurter le récif sans jamais se reposer un instant. Il est impossible de voir ces vagues sans rester convaincu qu’une île, fût-elle construite du roc le plus dur, fût-elle composée de porphyre, de granite ou de quartz, finirait par succomber devant cette irrésistible pression. Cependant ces insignifiants îlots de corail résistent et remportent la victoire ; c’est qu’ici une autre puissance vient jouer son rôle dans le combat. Les forces organiques empruntent un par un, aux vagues écumantes, les atomes de carbonate de chaux et les absorbent pour les transformer en une construction symétrique. Que la tempête les brise, si elle le veut, en mille fragments, qu’importe ! et que sera ce déchirement passager relativement au travail de myriades d’architectes toujours à l’œuvre, nuit et jour, pendant des mois, pendant des siècles ? N’est-ce donc pas un magnifique spectacle que de voir le corps mou et gélatineux d’un polype vaincre, à l’aide des lois de la vie, l’immense puissance mécanique des vagues d’un océan, puissance à laquelle ni l’industrie de l’homme, ni les œuvres inanimées de la nature n’ont pu résister avec succès ?

Nous ne revenons que fort tard, car nous avons passé longtemps dans notre barque à examiner les champs de corail et les gigantesques coquilles des Chames ; si un homme s’avisait d’introduire sa main dans ces coquilles, il ne pourrait pas la retirer tant que vivrait l’animal. Près de l’extrémité du lagoon j’ai été tout surpris de trouver un champ immense, ayant plus d’un mille carré, recouvert d’une forêt de coraux aux branches délicates qui, bien qu’encore debout, étaient tous morts et tombaient en ruines. Il m’a été difficile d’abord de comprendre les causes qui avaient amené ce résultat ; je pensai ensuite que je voyais là le résultat d’une combinaison de circonstances curieuses. Je dois commencer par dire que le corail ne peut pas survivre à la moindre exposition aux rayons du soleil, aussi la limite supérieure de sa croissance est-elle déterminée par le niveau des plus basses eaux. S’il faut en croire quelques vieilles cartes, la longue île qui se trouve sous le vent était anciennement