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AUSTRALIE.

ses colons étant Anglais, elle deviendra certainement une puissance maritime. Je me figurais que l’Australie pourrait bien devenir un pays aussi grand et aussi puissant que l’Amérique septentrionale, mais maintenant que je l’ai vue, j’ai quelque peu laissé de côté ces rêves de grandeur pour elle.

J’ai eu encore moins l’occasion de juger ce qu’il en est véritablement de la condition des convicts. On se demande tout d’abord si la transportation est une punition ; personne, dans tous les cas, n’oserait soutenir que ce soit une peine bien dure. Je pense toutefois que cela a peu d’importance aussi longtemps que les malfaiteurs de la même patrie redouteront ce châtiment. Les convicts ne manquent de rien ; ils peuvent espérer la liberté et une certaine aisance ; s’ils se conduisent bien, ils sont certains d’y arriver.

Dès qu’un homme est libéré, et il obtient cette libération s’il se conduit bien après un nombre d’années proportionnel à la longueur de la peine qu’il subit, il peut circuler librement dans une région donnée, aussi longtemps qu’on ne le soupçonne d’aucun crime. Quoi qu’il en soit, sans parler de l’emprisonnement en Angleterre et de la terrible traversée, les années qu’il doit passer en Australie comme convict sont extrêmement malheureuses. Comme une personne fort intelligente me l’a fait remarquer, les convicts n’ont d’autre plaisir que la sensualité ; or ils ne peuvent satisfaire cette passion. L’énorme récompense, c’est-à-dire le pardon, que le gouvernement peut leur donner, l’horreur profonde qu’ont tous les criminels pour la prison, préviennent certainement les crimes. Mais il ne faudrait pas croire qu’ils ne redeviennent pas criminels parce qu’ils ont honte de commettre un crime ; ils ne connaissent pas ce sentiment, et je pourrais citer des preuves bien curieuses à l’appui de cette assertion. Tout le monde m’a dit, et j’avoue que c’est là un fait curieux, que presque tous les convicts sont extrêmement lâches ; il s’en trouve qui, entraînés par le désespoir, deviennent indifférents à la vie, mais ils mettent bien rarement à exécution un plan qui demande du sang-froid et un long courage. Au résumé, ce qui me semble le plus triste, c’est que, bien qu’en vertu de ce qu’on pourrait appeler un progrès légal il se passe dans cette population de convicts bien peu de choses qui tombent sous l’application de la loi, il me semble impossible qu’on en arrive à un progrès moral. Des gens en position de juger m’ont affirmé qu’un convict qui essayerait de se convertir au bien, ne pourrait pas le faire tant qu’il reste dans la société de ses compagnons de crime ; la vie serait