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AUSTRALIE.

étape ; la maison où nous devions passer la nuit se trouve à quelque distance de la route et ce n’est pas sans peine que nous parvenons à la trouver. Dans cette occasion, comme dans toutes les autres d’ailleurs, je n’ai qu’à me louer de la politesse des classes inférieures, fait d’autant plus remarquable quand on pense à ce qu’elles sont et à ce qu’elles ont été. La ferme où je passe la nuit appartient à deux jeunes gens qui viennent d’arriver et qui commencent leur vie de colons. On ne trouve chez eux aucune espèce de confort, mais cela est compensé pour eux, et au delà, par la certitude d’une prompte réussite.

Nous traversons le lendemain un pays presque tout en flammes, d’immenses nuages de fumée traversent à chaque instant la route. Vers midi, nous rejoignons la route que nous avons déjà suivie et je fais l’ascension du mont Victoria. Je m’en vais coucher à l’auberge du Weatherboard, et, avant qu’il soit nuit, je vais contempler une dernière fois la vallée dont j’ai parlé. En retournant à Sydney je passe une soirée fort agréable avec le capitaine King à Dunheved. C’est ainsi que se termine ma petite excursion dans la colonie de la Nouvelle-Galles du Sud.

Avant d’arriver ici, les trois points qui m’intéressaient le plus étaient : l’état de la société chez les classes supérieures, la situation des convicts et les avantages qui pouvaient déterminer les colons à venir s’établir dans le pays. Il va sans dire qu’après un séjour aussi court mon opinion ne saurait avoir un grand poids ; cependant il est aussi difficile de ne pas se faire d’opinion, qu’il est difficile de juger correctement les choses. En somme, d’après ce que j’ai entendu dire, beaucoup plus que d’après ce que j’ai vu, l’état de la société a été un désappointement pour moi. Les habitants me semblent dangereusement divisés sur presque tous les sujets. Ceux qui, d’après leur position, devraient avoir la conduite la plus respectable, mènent une vie telle que les honnêtes gens ne peuvent guère les fréquenter. Il y a beaucoup de jalousie entre les enfants des émancipés riches et les colons libres ; les premiers considèrent les derniers comme des aventuriers. La population entière, riches et pauvres, n’a qu’un but, gagner de l’argent. Dans les classes les plus élevées on ne parle que d’une chose : la laine et l’élevage des moutons. La vie domestique y est presque impossible, car on est toujours entouré par des domestiques convicts. Combien ne doit-il pas être désagréable d’être servi par un