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CHILI SEPTENTRIONAL.

où il est impossible de trouver une seule goutte d’eau douce et où ils doivent compter par conséquent sur la rosée pour se désaltérer. Après les lézards, les souris paraissent être les animaux qui peuvent habiter les parties les plus petites et les plus sèches de la terre ; on les trouve jusque sur les îlots les plus infimes situés au milieu des grands océans.

Le paysage n’offre de tous côtés que l’aspect de la désolation, désolation que la puissante lumière d’un ciel sans nuages fait énergiquement ressortir. Ce paysage paraît sublime pendant quelques instants ; mais c’est là un sentiment qui ne peut durer, et on cesse bientôt de s’y intéresser. Nous bivouaquons au pied de la Primera Linea, ou première ligne de partition des eaux. Cependant les torrents situés sur le flanc oriental de la montagne ne s’écoulent pas dans l’Atlantique ; ils se dirigent vers une région élevée au milieu de laquelle se trouve un grand lac salé ; c’est une petite mer Caspienne située à une hauteur de plus de 10 000 pieds. Il y a pas mal de neige dans l’endroit où nous passons la nuit ; mais elle ne persiste pas toute l’année. Dans ces hautes régions, les vents obéissent à des lois très-régulières : chaque jour une brise assez violente souffle de la vallée, et une heure ou deux après le coucher du soleil l’air froid des régions les plus élevées se précipite à son tour dans la vallée, comme dans un véritable entonnoir.

Pendant la nuit, nous assistons à une véritable tempête, et la température doit descendre considérablement au-dessous de zéro, car de l’eau que nous avions dans un vase se transforme presque immédiatement en un bloc de glace. Les vêtements ne défendent en aucune façon contre ces violents courants d’air ; je souffre beaucoup du froid, à tel point même que je ne puis dormir et que le matin je suis tout engourdi.

Plus au sud, dans la Cordillère, il arrive souvent que les voyageurs perdent la vie au milieu des tempêtes de neige ; là, il y a un autre danger à courir. Mon guide me raconte que, âgé de quatorze ans, il traversait la Cordillère, au mois de mai, avec une caravane ; dans les parties centrales de la chaîne, une tempête furieuse se déclara ; les hommes pouvaient à peine se tenir sur leurs mules et les pierres volaient dans toutes les directions. Il n’y avait pas un nuage au ciel ; il ne tomba pas un seul flocon de neige, bien que la température fût très-basse. Il est probable que le thermomètre n’aurait pas indiqué beaucoup de degrés au-dessous de la glace fondante ; mais l’effet de la température sur le corps