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CHILI SEPTENTRIONAL.

daient leur carpacho ; au bout de deux ou trois secondes leur respiration était redevenue égale, ils s’essuyaient le front et redescendaient vivement dans la mine sans paraître autrement fatigués. C’est là, selon moi, un remarquable exemple de la quantité de travail que l’habitude, car ce ne peut être autre chose, peut amener un homme à accomplir.

Causant, dans la soirée, avec le mayor-domo de ces mines du grand nombre d’étrangers qui habitent aujourd’hui toutes les parties du pays, il me raconta que, alors qu’il était gamin et au collège à Coquimbo, ce qui n’était pas bien ancien, car il était tout jeune encore, on leur avait donné congé pour voir le capitaine d’un vaisseau anglais qui était venu parler au gouverneur de la ville. Rien au monde, ajoutait-il, n’aurait décidé ni lui ni ses camarades à s’approcher de l’Anglais, tant on leur avait inculqué l’idée que le contact avec un hérétique devait leur causer une foule de malheurs. Aujourd’hui encore (1835) on entend raconter de toutes parts les méfaits des boucaniers, et surtout ceux d’un homme qui avait enlevé une statue de la vierge Marie, puis qui était revenu l’année suivante prendre celle de saint Joseph, en disant qu’il ne convenait pas que la femme restât séparée de son mari. J’ai dîné à Coquimbo avec une vieille dame qui s’étonnait d’avoir vécu assez longtemps pour se trouver à la même table qu’un Anglais, car elle se rappelait parfaitement que, par deux fois, étant jeune fille, au seul cri de los Ingleses, tous les habitants s’étaient sauvés dans la montagne, en emportant ce qu’ils avaient de plus précieux.

14 mai. — Nous arrivons à Coquimbo, où nous séjournons quelques jours. La ville n’a rien de remarquable, sauf peut-être son extrême tranquillité ; elle contient, dit-on, de 6 000 à 8 000 habitants. Le 17, dans la matinée, il tombe une légère averse qui dure environ cinq heures ; c’est la première fois qu’il pleut cette année. Les fermiers qui cultivent du blé près de la côte, où le terrain est un peu plus humide, profitent de cette ondée pour labourer leurs terres ; ils les ensemenceront après une seconde averse et si, par bonheur, il en tombe une troisième, ils feront une excellente récolte au printemps. Rien d’intéressant comme d’observer l’effet produit par ces quelques gouttes d’eau. Douze heures après il n’y paraissait plus, le sol semblait aussi sec qu’auparavant ; et cependant, dix jours plus tard, on voyait comme une teinte verte sur toutes les collines ; l’herbe sortait çà et là en fibres aussi, fines que des cheveux et ayant un bon pouce de lon-