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PASSE D’USPALLATA.

Le lendemain, nous traversons la plaine, en suivant le cours du torrent qui coule auprès de Luxan. Ici, c’est un torrent furieux qu’il est impossible de traverser et qui nous semble beaucoup plus large que dans la plaine. Le lendemain au soir, nous atteignons les rives du rio de Las Vacas, que l’on regarde comme le torrent de la Cordillère le plus difficile à traverser. Comme ces torrents sont très-rapides et très-courts et qu’ils sont tous formés par la fonte des neiges, l’heure de la journée exerce une influence considérable sur leur volume. Dans la soirée, ils sont ordinairement boueux et impétueux, mais vers le point du jour l’eau diminue de volume et devient limpide. Il en est ainsi pour le rio Vacas, que nous traversons au point du jour sans beaucoup de difficulté.

Jusqu’à présent, le paysage est fort peu intéressant, si on le compare à la passe de Portillo. C’est à peine si l’on peut voir quoi que ce soit outre les deux murs nus de la grande vallée à fond plat que suit la route jusqu’à la plus haute crête. La vallée et les immenses montagnes rocheuses qui l’entourent sont absolument stériles ; depuis deux jours, nos pauvres mules n’ont rien eu à manger ; car, à l’exception de quelques arbrisseaux résineux, on ne peut voir une seule plante. Dans le courant de la journée, nous traversons quelques-uns des défilés les plus dangereux de la Cordillère ; mais on exagère beaucoup les dangers qu’ils présentent. On m’avait dit que si j’essayais de passer à pied j’aurais certainement le vertige, et qu’il n’y avait pas d’ailleurs d’espace suffisant pour descendre de cheval ; or, je n’ai pas vu un seul endroit assez étroit pour qu’il fût impossible d’aller en avant et en arrière et où il ne fût pas possible de descendre de sa mule d’un côté ou de l’autre. J’ai traversé une des plus mauvaises passes, qui porte le nom de las Animas (les âmes), et c’est le lendemain seulement que j’ai appris qu’elle offre des dangers terribles. Sans doute, il y a bien des endroits où, si la mule venait à s’abattre, son cavalier serait jeté dans quelque terrible précipice, mais cela est peu à craindre. Il se peut, en outre, qu’au printemps, les laderas, ou routes formées à nouveau chaque année sur les piles de détritus tombés pendant l’hiver soient fort mauvaises ; mais, d’après ce que j’ai vu, on ne court nulle part un danger réel. Le cas doit être tout différent pour les mules qui portent des marchandises, car la charge occupe un tel espace, que ces animaux, soit en se heurtant les uns les autres, soit en s’accrochant à une pointe de rocher, peuvent perdre leur équilibre et tomber dans les